vendredi 29 avril 2016

PREHISTOIRE DE LA COULEUR

Pour commencer, un retour aux sources avec Michel Politzer, en septembre 2014 Michel présentait aux ateliers un ensemble de dessins et peintures,  
 
quelques temps auparavant, il m'avait posté ce texte :
 
 
 
Le vent m'apporte
l'odeur des trois fauves tapis dans les graminées roses
J'aiguise mon regard d'obsidienne
la flèche noire de mon doigt tendu
trace les formes félines qui m'entourent
je poursuis le trait
l'esquisse
Indéfiniment
obstinément je deviens lionne
s'impriment
profils
muscles
les détails se gravent
au creux de mon crâne mangeur d'images
Le cercle du soleil
vibre dans le suint des bisons
l'odeur familière de la masse cornue
glisse dans mes narines
s'insinue
enveloppe mon cerveau vierge de l'aube
 
Dans la grotte
un liseré caresse les parois
dessine des failles
au détour d'une concrétion
luisante cristalline
la voûte m'offre ses doux mamelons
le mystère de ses creux
l'abrupt de ses fosses insondables
 
La graisse chaude jaillit
d'entrailles rougissantes
file entre mes doigts
mes mains
écrasent l'ocre
malaxent le rouge
broient le charbon
pulvérisent le calcaire
noir blanc frères ennemis
à jamais indissociables
couple indéfectible
aux jeux infinis
A la lueur du brandon
dans le ventre de la falaise
mon doigt s'allonge
d'une phalange excédentaire
s'orne d'une touffe de crins
liés en brosse
du bout du premier pinceau de l'histoire
je recueille l'onctueuse pâte
 
Avant il n'y avait rien
que le suintement de la paroi
mon haleine
mon souffle court
tout à coup
un glissement un crissement
le charbon trace
d'un trait incisif l'image précise
captée au grand soleil
je gronde
moi lionne
face à mon double
je prends vie
un autre profil se superpose
un autre encore
le mufle d'un auroch couronné de lyre
leur fait face
Dans cet opéra
ici
de l'homme
seule ma main se découpe
sur fond de sang
signe le calcaire luisant...
 
Dehors le monde se dédouble
dans le miroir de l'eau
mais ici
ce jour inaugure
un autre reflet du monde
la réalité visible se fige
en une représentation majestueuse
le regard de l'homme
sa mémoire
sa main
tissent dans l'ombre revenue
des liens subtils
avec la lumière
 
Une histoire est née sur la paroi
hors de notre entendement
le cri de l'homme notre frère
envahit la grotte
aux mille diverticules
L'os creux a rendu sa moelle
l'artiste appose  la main sur la roche
gonfle les joues
et d'un seul souffle au rouge
trace une œuvre énigmatique
 
Le chamane chamanise
fait chanter les sons aigrelets
des trois trous de sa flûte d'os
Au seuil des ténèbres
l'homme grave de délicates lignes
sur le manche de son couteau
en bois de renne
à lame de silex
chacun ronge son os comme il peut!
 
 
Michel Politzer  2012